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28 octobre 2012 7 28 /10 /octobre /2012 11:47

 

 

Capture1.pngCela fait un an que les trois femmes se battent contre la Logirep. Un an de démarches, d’épluchage de documents abscons, d’espoirs et de désillusions. Dans leur petit local au rez-de-chaussée d’un bâtiment de la cité du Pont-Blanc, Aïcha, Marie-Geneviève et Carine ne décolèrent pas. Début septembre, le couperet est tombé : la filiale du groupe Polylogis, un des plus gros bailleurs indépendants de France, réclame aux quelque mille habitants de cette cité HLM de Sevran (Seine-Saint-Denis), quatre ans d’arriérés de charges locatives. 1,36 millions d’euros.

Les familles installées dans cette résidence sociale d’une des communes les plus pauvres de Seine-Saint-Denis doivent donc s’acquitter d’un rappel qui s’élève entre 100 et 274 euros pour 146 foyers mais entre 450 euros et 850 euros pour 577 foyers. Alors les trois battantes ont ressorti leurs armes : une lettre individuelle que chaque résident doit envoyer au bailleur pour lui signifier son refus de payer. Une centaine sont déjà parties. Une mobilisation collective qui est une première dans cet ensemble de logements très modestes.

"Une cité à l'abandon"

Les trois femmes ont monté, voici un an, l’Amicale des locataires de la cité. C’était en juin 2011, deux mois après que les habitants aient reçu un rappel de charges. Le coup de massue financier ne passe pas dans ce quartier déshérité. Aïcha lance la fronde en appelant les habitants à venir en masse à la permanence de la Logirep tenue pour recevoir les locataires. « Les gens se sont lâchés en parlant de leur cité à l’abandon et criant qu’ils ne paieraient pas », se souvient la trentenaire, jolie brune au chômage.

« Les représentant de la Logirep avaient tellement de mépris en nous renvoyant la responsabilité des dégradations », renchérit Marie-Geneviève, une sexagénaire à la mise soignée. Le soir même, lors d’une assemblée générale improvisée, elles lancent l’association. Quelque 150 personnes vont y adhérer, apprenant d’un coup à sortir de l’isolement. Le boycott est décidé. « Ici on a des gens qui ne mangent pas tous les jours. Payer pour des conditions de vie aussi dégradées, c’est non ! », justifie Aïcha.

531 634 euros d’"erreurs de calcul"

Car derrière l’aspect presque propret des bâtiments - « la « cité basse » faite d’immeubles de quatre étages, « la cité haute » de tours de 15 niveaux -, la réalité du Pont blanc est d’abord celle du délabrement. Ce sont les rats qui courent dans les canalisations, les fuites dans les plafonds, les ascenseurs régulièrement en panne, la chaussée pleine de nids de poule, des allées plongées dans le noir dès la nuit tombée, le trafic de drogue et les armes qui circulent. Le soir, les femmes avouent ne plus sortir et pour toute installation récréative, les enfants s’amusent à construire des cabanes avec des caddies retournés sur le terrain défoncé.

Le salarié de la Logirep responsable de la cité est aux abonnés absents. Les mères de famille, aidées de l’antenne départementale de la Confédération nationale du logement (CNL), vont réclamer les factures d’opérations de rénovation annoncées pour justifier l’augmentation des charges, et les éplucher minutieusement. Elles vont découvrir 531 634 euros d’erreurs de calcul, de factures fantaisistes et de travaux non faits.

"Si on ne fait pas payer, il n’y a plus de bailleur"

Devant la mobilisation des habitants, le bailleur envoie un nouveau responsable, reconnaît des « erreurs de gestion » et fait effectuer quelques travaux pour éviter le rats. L’ardoise n’est cependant pas effacée. « On a régulé avec retard mais on reste dans le cadre de la loi qui nous autorise à réclamer jusqu’à cinq ans d’arriérés », justifie Patrice Vitteaux, le directeur général de la Logirep. A ses yeux, en opérant un abattement - qui en fait correspond aux fameuses « erreurs de calculs » - et en étalant le remboursement, la Logirep aurait pris en compte que « les habitants sont des gens modestes » : « avec l’étalement, nous réclamons 15 euros par mois en moyenne », argumente-t-il.

L’association réclame aujourd’hui l’effacement de la dette jusqu’en 2010. « Impossible, rétorque M. Vitteaux. Ce sont des charges dues, le chauffage a été consommé et le gardiennage effectué. Si on ne fait pas payer, il n’y a plus de bailleur ». Aïcha et ses deux amies n’en démordent pas : en refaisant l’installation de chauffage en 2006 - 850 m2 de panneaux solaires primés par l’ADEME ! - le bailleur avait promis une baisse des charges. Or elles ont doublé en quatre ans. La mairie de Sevran s’en est mêlé comme le député François Asensi (Front de gauche) qui a réclamé, à son tour, une annulation de la dette. En vain. Les nouvelles militantes ne veulent pas s’arrêter, « prêtes », disent-elles « à aller en justice si la Logirep ne bouge pas ».

En attendant, elles savourent étonnées la nouvelle ambiance créée au Pont-Blanc. « La solidarité s’est réveillée », constate Aïcha. « On a appris à être plus fortes à plusieurs », renchérit Carine, jeune mère en congé parental. Elles sont aujourd’hui fières du chemin parcouru. Juste avant l’été, elles ont emmené une soixantaine de femmes au théâtre à Paris voir le comique Cartouche parce que comme le résume Aïcha, « c’est toujours les femmes qui sont en réunion, qui se mobilisent ». « Alors on a voulu se faire plaisir. Et on a toutes tellement ri… ».

 

Sylvia Zappi

 

source : le monde.fr    

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